DE LA CONTRACTUALISATION DU DROIT DE LA FAMILLE EN
GENERAL
ET DU DROIT DU
MARIAGE EN PARTICULIER
Par
Frédéric-Jérôme
PANSIER
Docteur d'Etat en
Droit, Docteur ès Lettres
Chargé
d'enseignement à l'Université de PARIS I (Panthéon Sorbonne)
1. En première
approximation, le droit familial peut s'entendre comme le droit de la famille.
Reste à définir la notion de famille. La famille est une notion variable que
l'on peut imaginer sous la forme de cercles concentriques.
2. Le premier de ces
cercles, irréductible, est le couple, composé de l'union de deux personnes.
Reste à savoir si les deux composantes du couple doivent être de sexes
différents ou encore si le couple, à l'image de l'EURL en droit commercial,
peut être composé d'un seul individu constituant un couple à lui seul. Vivre
avec soi-même est souvent une expérience éprouvante qui suffit au malheur d'une
seule personne, sans faire le malheur d'une autre. Et encore, comme le
soulignait Oscar WILDE, s'aimer soi même est sans doute l'expérience amoureuse
la plus fidèle et la plus constante.
Le deuxième cercle
comprend le couple défini ci-dessus additionné de l'enfant ou des enfants, qui
sont, dans la conception judéo-chrétienne, la raison d'être du mariage. Même
si, comme le remarquait Jules RENARD, les parents emmènent leurs enfants à la
mer dans l'espoir, souvent déçu, de les y noyer.
Le troisième cercle
ajoute au deuxième les "parents ", i.e. ceux qui s'agrègent par
l'effet du lien sanguin. Enfin, le quatrième cercle admet en son sein les
parents par alliance, autrement dit ceux qui deviennent famille par l'effet du
mariage : le mariage non seulement unit deux personnes, mais agrandit le cercle
de famille. Ce quatrième cercle varie avec le temps : en théorie, fini le
mariage, fini les alliés. C'est la solution juridique, mais les faits résistent
à cette vision brutale de la rupture.
3. La définition du
contrat paraît plus confortable à la lecture du code civil : "Le contrat est une convention par
laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres,
à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose". L'intérêt de cet
énoncé est de poser clairement que le contrat est une forme de convention,
celle qui CREE une ou plusieurs obligations, et que l'obligation peut revêtir
quatre modalités : date, facere, non dare
aut non facere. Les juristes romains seraient peut être satisfaits.
4. La relation entre la famille et le
contrat passe par des chemins classiques, celui de la querelle sur la nature
institutionnelle ou contractuelle du mariage (I) avec une réponse plutôt
favorable pour le mariage-institution, mais connaît une nouvelle actualité avec
les réformes en cours du droit de la famille (II).
I. LA CONTRACTUALISATION DENIEE
5. La définition du
mariage est rendue difficile en raison d'un ordre public familial posant des
contraintes à la liberté contractuelle (A). Toutefois, l'union libre est une
atteinte à cet ordre établi.
A. LE MARIAGE : TENTATIVE D'UNE DEFINITION
6. Il est tentant pour un juriste de
droit français de tenter cette définition à la lumière du code civil. Déjà, la
place consacrée au mariage donne le vertige : le mariage est ainsi traité dans
le livre premier et troisième. Sous le titre "du mariage ", il
intègre ainsi le livre premier intitulé "des personnes ". Sous le
titre V "du contrat de mariage et des régimes matrimoniaux ", il
trouve sa place dans le livre troisième Titre III "des contrats ou des
obligations conventionnelles en général ". De ce strict point de vue
topologique, le mariage est à la fois traité au titre du droit de personnes et
en tant que "contrat de mariage ". On le voit cette ambiguïté est
fondamentale à la notion, comme la dualité est consubstantielle au dieu Janus.
7. Revenons à la
tentative de définition. Le mariage, à la lumière de la jurisprudence de la
Cour de cassation, serait "l'union de l'homme et de la femme s'engageant à
une communauté de vie et à l'éducation des enfants soumise aux lois civiles et
au contrat de mariage convenu librement ".
On le voit, ce
double sceau de l'institutionnel et du contractuel marque toute conception
moderne du mariage : il est vain de savoir si le mariage est l'un ou l'autre,
il est en réalité l'un et l'autre. L'étudiant est rapidement conscient de cette
double face du mariage quand, pour résoudre une question, il est contraint de
naviguer entre les premières pages du code - le régime primaire impératif
auquel sont soumis tous les couples mariés - et un peu plus loin, les règles
particulières à chaque régime matrimonial choisi par chaque couple. Le régime
matrimonial est l'espace de liberté que veut bien laisser le législateur aux
couples souhaitant organiser leur patrimoine. La liberté provient du passage du
droit de la famille au droit patrimonial de la famille.
8. Avant le mariage, la liberté
contractuelle est limitée afin de préserver la liberté individuelle de se
marier : c'est ce qui interdit de prendre en compte les fiançailles ou les
promesses de mariage.
C'est à la fois une liberté et un
droit : le droit au mariage est un droit individuel d'ordre public qui ne peut
ni se limiter, ni s'aliéner. La jurisprudence interdit les clauses de
non-convol et limite très fortement les clauses de célibat…
9. Le régime
primaire impératif (les articles 212 et suivants du code civil) est la marque
de l'ordre public familial de notre droit. Il est le minimum en deçà les
couples ne sauraient déroger même par convention expresse : " La loi ne
régit l'association conjugale, quant aux biens, qu'à défaut de conventions spéciales,
que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu'elles ne
soient pas contraires aux bonnes mœurs(…) " (art. 1387 du Code civil).
La comparaison doit
être faite avec le droit des obligations : ce qu'il est convenu le droit des obligations est le
substrat, la matière fertile, fort souvent impérative, sur laquelle le droit
des contrats spéciaux vient puiser sa substantifique moelle afin de créer à
l'infini de nouveaux contrats. De la même façon, le régime primaire impératif
est la base inspiratrice des conventions matrimoniales, qui théoriquement
peuvent être construites sur
mesure par les
époux.
Le contrat ne peut atteindre les
droits et devoirs institutionnels du mariage. Par exemple, la séparation de
fait, même par convention écrite, n'a aucun effet juridique ; ou encore, la
jurisprudence interdit aux époux de choisir conventionnellement les effets du
mariage et l'indivisibilité desdits effets résulte du célèbre arrêt Appietto.
10. Encadrée dans son domaine d'intervention,
la liberté contractuelle connaît des restrictions même quant aux biens. La
procédure de modification du régime matrimonial est soumise au contrôle du
juge, et force est de constater que ce contrôle a priori devient de moins en
moins formel. Il s'agit d'apprécier l'intérêt familial, et la famille passe
souvent du premier au deuxième cercle : souvent ce sont les enfants qui
s'opposent à la volonté commune des parents, qui, par le biais d'un changement
matrimonial, réduit l'héritage.
La même restriction
vaut au moment de la dissolution du mariage : symétrique de l'article 1387,
l'article 1450 du Code civil autorise une convention de liquidation et de
partage de communauté, sauf certaines exclusions (comme la prestation
compensatoire). Même en matière de divorce pour faute, le législateur interdit
la liberté contractuelle : l'époux peut être contraint à concéder un bail (art.
285-1 C. civ.) ; les donations et avantages sont révoqués de plein droit (art.
267 et 269 C. civ.).
B. LE CONCUBINAGE :
REALITE D'UNE LIMITATION
11. La plus grande
limitation du mariage est une limitation de fait : l'union libre. Elle naît
d'une situation de fait : deux individus décident de vivre ensemble et selon
l'étymologie, de partager la même couche. Union libre ou concubinage n'imposait
nullement une différence de sexe entre les participants; c'est par une vision
restrictive et rétrograde que la Cour de cassation a restreint le concubinage à
la seule union d'un homme et d'une femme, en calquant cette situation de fait
sur la situation légale du mariage.
Rien ne l'imposait :
deux hommes ou deux femmes, un être humain et un animal (à l'image de Caligula)
pouvaient faire de parfaits concubins et ainsi éviter au législateur (et au
parlementaire) la difficile épreuve du PACS.
12. Le contrat est l'essence du régime
de l'union libre : certes, il n'y a aucun formalisme et le concubinage naît
lorsque deux individus décident de vivre en commun. Or, qui dit "décision
de vivre en commun " dit accord de volontés en vue de donner naissance à
certaines conséquences, donc un contrat.
De plus, l'union libre est marquée au
long de son existence par l'application du droit commun des obligations
(contrats et quasi-contrats). L'ensemble des règles du mariage est cependant
exclu, comme l'obligation de contribuer aux charges du mariage ou la solidarité
des dettes ménagères.
13. Enfin, l'Union
libre se rompt comme elle est née, par un simple acte de volonté. Il ne s'agit
pas d'un engagement unilatéral de volonté, mais un désengagement unilatéral de
volonté tel que le connaissent certains droits, le droit musulman en
particulier au travers de la résiliation du mariage par "déchirure de la
carte " ou de la répudiation. Seule la faute de droit commun est créatrice
d'indemnités.
14. On le voit, le
contrat n'est pas absent du droit positif. La contractualisation de nos
institutions ressort renforcée des projets actuels de réforme.
II. LA CONTRACTUALISATION PROGRAMMEE
15. La tendance à la
contractualisation se manifeste lors de la rupture du
mariage (A), et lors
de la création d'un nouveau rapport de couple, le PACS
(B).
A.
LA RUPTURE COMME UN CONTRAT : LE DIVORCE ADMINISTRATIF
16. Au fond, le divorce est de fait
dans la plupart des situations un contrat. En effet, dans la mesure où les
époux sont d'accord sur la décision de divorcer et sur ses principales
conséquences, ils peuvent faire choix d'une forme de divorce par
"consentement mutuel " : divorce sur demande acceptée ou divorce
conjoint. Ces solutions classiques sont acquises depuis la réforme de 1975 et
une large pratique les a consacrées.
17. Reste une réserve concernant le
rôle du juge : on peut s'interroger sur la nature des conventions homologuées
par le juge. Le terme "convention" évoque normalement le caractère
contractuel de celles-ci. En réalité, elles sont également à double face. En
effet, la lettre de l'article 279 du code civil "la convention homologuée
a la même force exécutoire qu'une décision de justice ". La convention est
donc contractuelle dans son élaboration
(négociation,
rédaction) et judiciaire dans son effet.
Cela fait songer à l'obligation
"qui tient lieu de loi à ceux qui les ont faites ", et de façon
générale à l'usage immodéré du Droit, et de notre code, au modèle d'une réalité
contingente. La tentation est toujours grande pour le juriste de se référer à
ce qui existe ; cela est rassurant pour un esprit " conservateur "
comme le sien : rien de nouveau sous le soleil, si ce n'est de nouveaux modèles
de réalités idéales. Les outils du droit sont les images projetées sur la paroi
de la caverne de Platon.
Cependant, il faut parfois
s'interroger sur la nécessité de créer de nouveaux modèles référents… A force
de copie, l'idée de mariage ou d'obligation s'épuise.
18. La réforme, annoncée puis
enterrée, faisait sauter le pas du fond à la forme. Dans la mesure où les époux
étaient d'accord, il s'agissait de leur permettre de divorcer comme ils
s'étaient mariés, par un passage devant le maire. L'idée reposait sur un
parallélisme des formes et avait pour objectif important de limiter le recours
au juge des affaires familiales, déjà submergé par les affaires réellement
contentieuses.
Cette contractualisation totale du
divorce n'était que le second pas du premier pas accompli en 1975. Elle
paraissait utile dans un souci d'assurer une bonne justice pour les
justiciables ayant réellement des difficultés. On ne peut que regretter son
enterrement et souhaiter son exhumation prochaine.
B. LA VIE COMME UN
CONTRAT : LE PACS
19. Le PACS peut
être conclu entre deux personnes physiques majeures de sexe différent ou de
même sexe pour organiser leur vie commune. Sont empêchés de contracter : une
personne mariée ou déjà pacsée.
La déclaration
écrite conjointe, ce qui constitue le PACS, est signée au greffe du Tribunal
d'instance dans le ressort duquel les partenaires ont ou fixent leur résidence.
20. L'aspect contractuel du PACS est
flagrant du fait que cette institution comporte droits et devoirs : les partenaires
se doivent une assistance matérielle et mutuelle, sans qu'il s'agisse pour
autant du devoir de secours et d'assistance des personnes mariées. En fait, la
réalité en sera proche : à égalité de situation factuelle, doit correspondre
une identité de réponse juridique…
La filiation en est
curieusement exclue : le PACS n'ouvre pas droit en matière d'adoption ou de
procréation médicalement assistée, alors que ce droit à la filiation était
revendiqué. Cette exclusion montre que non seulement le mariage n'est plus la
situation de la majorité des couples, mais est le modèle revendiqué par les
autres couples, notamment homosexuels.
Comme pour les
couples mariés, les partenaires du PACS sont tenus solidairement à l'égard des
tiers des dettes contractuelles souscrites par l'un d'eux pour les besoins de
la vie courante. Là encore, à identité de fait, identité de droits.
Reste la solution la
plus discutable : "A défaut de stipulations contraires de l'acte
d'acquisition, les biens des partenaires acquis postérieurement à la conclusion
du PACS sont soumis au régime de l'indivision ". Pour pratiquer
l'indivision post communautaire ou post successorale, il est aisé de se rendre
compte de l'inadéquation de la situation retenue. Il s'agirait d'une indivision
légale (et non conventionnelle) insusceptible de dispositions contraires, sinon
au cas par cas lors de chaque acquisition : il est à souhaiter que le
législateur permette aux partenaires du PACS de souscrire par avance un
"contrat de régime de PACS ", qui serait rédigé par un notaire,
et permettrait l'adoption d'un régime
voisin de celui des régimes matrimoniaux traditionnels qui ont fait leur
preuve.
Cette nécessité d'un
contrat préalable de régime de PACS résulte renforcé de deux autres solutions
dangereuses : " Les partenaires déterminent eux-mêmes les conséquences que
la rupture entraîne à leur égard. A défaut d'accord, celles-ci sont réglées par
le juge ". Mieux vaut prévenir que guérir, et éviter d'accabler encore les
pauvres juges…
21. Il faut évoquer
de deux mots les principales conséquences du PACS, au point qu'elles sont sa
raison d'être :
- les personnes
signataires bénéficient d'un régime privilégié en droit fiscal successoral
(abattement de 300.000 F, droits de mutation de 40% pour les premiers 100.000 F et 50% au-delà), à condition que le
pacte ait deux ans d'ancienneté ou que l'un des partenaires soit atteint d'une
pathologie de longue durée (dont le virus HIV) ;
- en cas de décès et
sans condition de durée du pacte, le partenaire survivant bénéficie du
transfert de bail ou du droit de reprise du logement par le propriétaire ;
- le partenaire d'un
PACS est considéré comme l'ayant droit de l'assuré social s'il est à la charge
effective et permanente de ce dernier ;
- la signature d'un
pacte constitue l'un des éléments pour apprécier l'existence de liens
personnels en France, ce qui ouvre droit à un titre de
séjour provisoire ;
- enfin, en droit du
travail, le régime des couples mariés est applicable aux pacsés.
22. Dans le projet adopté par l'Assemblée
Nationale, la volonté de désengagement unilatérale ou bilatérale permet de
rompre le PACS.
Lorsque les
partenaires décident d'un commun accord de mettre fin au PACS, ils doivent
remettre une déclaration écrite au greffe du Tribunal d'instance : ce qui a été
conclu par simple déclaration commune doit pouvoir l'être par une autre
déclaration commune. L'identité et le parallélisme des formes l'imposent.
Lorsque la rupture
résulte d'un seul partenaire, celui-ci doit la manifester par notification à l'autre
partenaire par voie d'huissier. Cela évoque le contrat de travail à durée
indéterminée ou l'union libre (pour la rupture unilatérale), voire les baux
commerciaux (le recours à l'huissier). Les droits et devoirs attachés au PACS
prennent fin trois mois plus tard.
CONCLUSION
23. Le droit pour deux personnes de
s'unir connaît aujourd'hui trois formes: la forme légale, celle du mariage
officiel mi-institutionnel et mi-contractuel, celle de l'union libre
entièrement factuelle et enfin celle du PACS, entièrement conventionnel.
24. La contractualisation du droit de
la famille est une nécessité, car elle est la marque de la prise en compte par
le droit du fait et des réalités sociales. Le constat est fait : nous vivons
dans une société communautaire, aussi il est logique que des catégories
sociales particulières aient leurs institutions propres. Certaines banlieues ne
sont pas des zones de non droit, mais des périmètres d'un droit autre que celui
en vigueur sur le reste du territoire. De la même façon, les couples auront le
choix entre le mariage, le concubinage ou le PACS, selon le degré d'implication
des partenaires. La liberté sera totale quand les homosexuels auront eux aussi
ce choix total et pourront, au choix, se marier, vivre en concubinage ou se
pacser.
25. Tout le droit de la famille répond
à un impératif absolu de l'homme : la poursuite du bonheur, et les instruments
juridiques doivent permettre d'atteindre cet objectif en libérant des
contraintes. Peut être est-ce vain, les pessimistes affirmant que le bonheur,
comme le point d'horizon recule au fur et à mesure que l'homme avance en âge,
ou les optimistes (avec Jules RENARD), que si l'on devait construire un jour la
maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d'attente.