« Le
silence politique » ou le voyage
iconoclaste d’un haut fonctionnaire au sein de la société française
Etude de Francis Massé - compte rendu René Naba
Les professions de
foi quotidiennes des politiciens français ne doivent pas faire illusion, pas plus
que les grandes écoles où se recruteraient,
dans cette spécialité bien française, les plus brillants esprits de la
République.
La France souffre
d’un mal endémique «le silence Politique», et la prolifération des
excroissances métastatiques, - qui ont pour nom Esprit de baronnie et de clan
du secteur public, particularisme obsessionnel des branches au sein du patronat
français, sectorisation à l’excès des syndicats français, démultiplication des
relais d’entreprises, - fait apparaître une société française bloquée,
conservatrice car fragmentée et corporatiste.
Le diagnostic
n’est nullement singulier, il est
néanmoins original car il est établi, non par un intellectuel par définition
coupé des racines de la réalité, ni par
un acteur vindicatif de la vie publique, mais par un haut fonctionnaire, de surcroît homme de
terrain ayant occupé des responsabilités successives dans divers cabinets
ministériels, ainsi qu’au sein des grandes
administrations publiques (transport,
fonction publique, mer, aviation civile etc...), et de l’inspection des
finances.
De ce voyage en
profondeur dans les entrailles de l’administration française, l’auteur Francis
Massé, dresse un état des lieux sans concession, mais sans aigreur de la
France, au sortir du 20 ème siècle. Loin de tout esprit polémique, mais sans
complaisance, Francis Massé débusque
pesanteurs et travers ( hyperspécialisation, refus de la transdisciplinarité)
qui ont débouché sur la «crise de l’ Etat en France». Il plaide en conséquence
pour une «stratégie de la complexité» au service d’un Etat stratège et non plus
seulement gestionnaire.
Ci-joint des extraits du carnet de
route de ce voyage iconoclaste:
1°) Au niveau
central: la lutte entre les corps de
l’Etat a poussé à un Etat parcellisé,
faisant écran entre les réalités, ses évolutions et le processus interne
de décision. Le rapport au pouvoir domine encore trop souvent les relations
professionnelles au détriment de l’amélioration des performances.
2°)Au plan local:
trop d’institutions tuent l’institution. Que ce soit dans le domaine du
contrôle de la légalité ou des comptes, de l’enchevêtrement des compétences
entre collectivités territoriales, des structures horizontales ou des missions
spécifiques, de la déconcentration qui n’a pas digéré les luttes internes de
pouvoir entre administrations, le trop plein règne en maître et l’opacité ne
peut que favoriser les mauvaises décisions, l’insécurité juridique et les
risques de prévarication.
3°) Les
«Affaires»: la société de l’information
ne fait pas bon ménage avec le secret. La montée des pouvoirs jusqu’ici
contrôlés ou pratiquant l’autocensure --Audiovisuel et justice-- montre à quel
point la politique a cédé du terrain quant à sa fonction de définition et de
résolution des problèmes. Le silence du Politique est inversement proportionnel
au bruit des médias et à la «revanche» des juges.
4°) l’archaïsme de
la vie économique: société
aristocratique, ayant une conception alvéolaire de la société et un manque
d’esprit d’équipe, la France marque un retard dans le domaine de l’intelligence
économique (symbiose entre divers opérateurs).
Le management stratégique est embryonnaire. Le pouvoir d’entreprise
reste fondé sur les lois de Vichy et sur la culture du chef. L’administration est orpheline
d’interlocuteurs mandatés et légitimes avec lesquelles elle peut préparer les
décisions et proposer aux politiques des orientations bien étudiées sur un
terrain social «déminé». Faute de relais d’informations fiables, l’Etat est
aveugle.
5°) Au plan
social: l’intelligence innée prévaut
sur l’intelligence acquise. L’idéologie techniciste répandue dans les sphères
administratives et politiques marque le refus de la réalité écologique. La
France se trouve au niveau de l’anticipation Zéro, sans esprit de suite, avec
une pauvreté de l’ingénierie sociale: fruit de l’exclusivisme de la
technique, le chômage est souvent le fruit d’une recherche effrénée de la
productivité au détriment d’une croissance de l’activité par quête de nouveaux
marchés, de nouveaux clients.
6) Europe: si l’Europe
est un combat, il ne doit pas être un combat d’illusion, mais une compétition
sur de vrais sujets car les faux sujets sont légions: débat entre pragmatisme
anglais et volontarisme français, entre protectionnisme et libre échange. Il
importe de trouver un terrain d’entente sur la base des réalités économiques et
sociales, trouver une règle de jeu qui
favorise la complémentarité culturelle et le savoir faire entre les différents pays européens. Ne pas
continuer à faire une alliance franco-allemande et trouver des solutions avec
la Grande-Bretagne, en feignant
toujours d’avoir la même conception de l’Europe
Pour une stratégie de la complexité au service d’un
Etat stratège
Au terme de ces
pérégrinations dans les rouages de la vie publique, Francis Massé livre ses
propositions en vue de remettre la France en ordre de bataille pour la compétition du 21 ème siècle. Articulées autour de quatre impératifs, elles portent notamment sur:
a) la réforme de
l’administration et la fonction publique ( réduire la complexité statutaire et
fonctionnelle, établir une visibilité des missions et des objectifs, une
passerelle entre public et privé et un lien entre implication personnelle
et carrière)
b) la redistribution
des territoires et des pouvoirs ( Donner aux villes contemporaines la dimension
démocratique qui leur convient en renforçant les pouvoirs des villes grandes et
moyennes sur leur périphérie immédiate, Faire des «Pays» le maillage territorial de la France rurale
de l’an 2.000 et construire des Régions de dimension européenne), transformer
le Département.
c) l’impulsion d’un Eco-developpement
avec pour objectif une compatibilité entre
croissance et environnement.
d) Fonder une
économie au service de la société par l’établissement d’une stratégie sociale
visant à modifier profondément le rapport entre l’économie et le social afin
que l’ensemble des microstructures participent d’un projet global de
compétivité du pays. Cette stratégie sociale passe par une politique affirmée
de l’emploi compétitif, par couplage
d’un revenu minimum (impôt négatif)
avec un contrat d’activité, au profit d’une création de richesses que seule
l’industrie permet.
Partant du constat que «l’Etat
n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour la société de se transformer et de
s’organiser sans cesse à la recherche d’un équilibre structurellement instable
et d’une cohésion sociale», Francis Massé plaide pour une «stratégie de la
complexité», dont la mise en œuvre présuppose un énorme effort de
simplification des structures administratives, une régulation différente du
système économique, l’instauration de la transdisciplinarité ainsi que la
réforme de l’Etat, afin de palier cette
coupure permanente entre l’action et la réflexion.
La mondialisation affaiblit quelque peu
l’Etat, mais l’interactivité des facteurs devrait l’inciter à être davantage
stratège. L’Etat futur se devra d’être non plus un état gestionnaire mais un
«Etat stratège face à l’imprévisible», tant il est vrai que la concurrence
croissante entre les Etats réside dans leur capacité à mieux organiser une
stratégie face à l’imprévisible.
«le Silence politique», ouvrage à paraître au
premier semestre 1999 aux Editions de la presqu’île-Bordeaux- Diffusion
Flammarion.
l’auteur, Francis Massé, ancien élève de l’Ecole
Nationale d’Administration (ENA) est
délégué national de l’ARFA, «Club de réflexion sur les organisations
publiques et privées».